Permaculture

L’extraordinaire productivité d’un petit potager de 50 m2 : un exemple pour nourrir la ville de demain ?

Permaculture

par Simon Gouin (Grand Format)

Dans la banlieue de Rouen, un jardinier amateur arrive à produire 300 kg de fruits et légumes par an, avec son potager d’à peine 50 m2. Et ce, sans pesticides ni engrais chimiques. Optimiser l’espace, favoriser les échanges entre végétaux, bien choisir les endroits où pousseront tels types de plantes, voici ses conseils en cinq grandes leçons. De quoi inspirer celles et ceux qui souhaiteraient développer l’autonomie alimentaire de leur quartier sans forcément disposer de grands espaces.

Là, des tomates rouges et noires qui commencent à grossir. Ici, des pieds de courges qui grimpent au-dessus de l’abri à bois. En dessous, des fraisiers et un myrtillier. 200 variétés de fruits et légumes différents s’épanouissent dans ce jardin de Sotteville-lès-Rouen, à dix minutes du centre de Rouen, la capitale normande. Une extraordinaire densité de végétaux répartie dans un espace de 150 mètres carrés. En plus d’être productif, le jardin resplendit sous le soleil de la mi-juillet. Quand ils ne jardinent pas, Joseph Chauffrey et sa compagne, les propriétaires, aiment profiter d’un petit carré d’herbe, à côté de la mare, où s’asseoir, lire ou boire une bière, et profiter des rayons du soleil après la journée de travail.

Cet incroyable petit potager n’est pas celui d’un maraîcher, travaillant d’arrache-pied pour y cultiver des légumes. Joseph Chauffrey est animateur en environnement à la Métropole Rouen Normandie. Et c’est sur son temps libre, en six ans, que ce passionné de permaculture a petit à petit construit son jardin... et une quasi autonomie alimentaire en légumes de son foyer ! L’année dernière, il a récolté environ 300 kg de courges, tomates, haricots, choux ou salades ! « Nous avons simplement dû acheter des pommes de terre, de l’ail et des oignons pour compléter nos propres récoltes, raconte Joseph. D’ici quelques années, nous devrions aussi être presque autonomes en fruits. »

Pour le jardinier, l’autonomie individuelle n’est pas un objectif en soi : « Si ma voisine produit des abricots et moi des salades, on peut se les échanger. L’autonomie strictement individuelle me dérange, mais celle d’un quartier ou d’une ville est intéressante. » Si Joseph Chauffrey calcule tout ce qui entre et sort de son jardin, c’est dans un souci de sensibilisation et de transmission, « pour montrer aux gens que c’est possible ». Son but : « Tenter de voir jusqu’où la productivité peut aller avec 45 mètres carrés cultivés, sans engrais chimique, sans produits phytosanitaires autres que ceux autorisés en agriculture biologique. Mais avec des connaissances et des techniques qui permettent d’accroître les rendements. »

Voici quelques pistes, non exhaustives, pour comprendre l’extraordinaire productivité de ce petit potager.

Piste n°1 : Aménager l’espace

« Quand on se lance dans la permaculture, il faut d’abord concevoir un plan d’aménagement de son jardin, qui, forcément, évoluera au fil du temps. Il s’agit de décider, en fonction de ce qu’il y a déjà sur son terrain et de ses souhaits, de la place de chaque élément. Nous voulions que notre jardin ne soit pas qu’un potager. Nous avons gardé un coin d’herbe, un endroit pour aménager un local à vélo. Nous ne voulions pas faire de concessions sur le confort de notre vie, au quotidien.

Parmi les éléments à placer, par exemple, il y avait le composteur, quatre bacs en bois qui servent à transformer les déchets organiques en compost. Nous l’avons placé auprès de notre maison, pour que l’on puisse y accéder de la terrasse, sans besoin de se chausser pour l’atteindre. Par ailleurs, il est dans un endroit relativement ombragé, ce qui limite son dessèchement.

Aménager le jardin, c’est aussi placer les végétaux en fonction de leurs besoins en lumière et de leurs interactions avec les autres végétaux. Mais aussi en fonction de la surface dont on dispose. Puisque notre jardin est petit, on utilise la verticalité pour trouver plus de place. Ces courges prennent un mètre carré au sol, puis grimpent au dessus des abris en bois où elles occupent plusieurs mètres carrés. Nous tentons d’optimiser au maximum l’espace dont nous disposons. En dessous du pied de courge, il y a des fraisiers. Il faut juste vérifier qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre les espèces de végétaux. »

Piste n°2 : Favoriser les échanges entre végétaux

« Sous la serre, je plante d’abord des carottes, puis je repique des tomates au milieu. Une fois que les carottes sont récoltées, je vais repiquer des végétaux en dessous des tomates, par exemple de la verdure asiatique, une sorte de salade, que j’aurais au préalable fait germer dans des mini-mottes [de petites alvéoles], trois semaines avant de les mettre en terre. Au départ, en raison de l’ombre des tomates, les plantes vivotent mais elles reprennent leur aise une fois les pieds de tomate coupés. Cette rotation rapide, sur une même parcelle, permet de produire plus.

Mais l’intérêt de mélanger la culture des légumes est aussi de favoriser les interactions entre les végétaux, ce qui leur sera bénéfique. Si mes carottes sont trop serrées, dans un même rang, la mouche de la carotte va se répandre rapidement d’un légume à un autre, et mes carottes risquent d’être détruites. Au contraire, si je plante mes carottes avec d’autres légumes, la propagation va s’effectuer plus lentement.

Le principe général est que nous avons intérêt à bien positionner chaque élément pour qu’il remplisse plusieurs fonctions. Et que chaque fonction du jardin soit remplie de plusieurs manières. Par exemple, j’ai positionné ma jardinière avec les tomates devant la baie vitrée de ma maison. Non seulement elle est située en plein sud, mais elle est aussi agréable à regarder de mon salon, auquel elle apporte de l’ombre. Autre exemple : la mare que j’ai installée. Elle accueille des insectes et est un abreuvoir à oiseaux, ces derniers étant très importants pour combattre des nuisibles, par exemple les chenilles. Elle tempère aussi la température du lieu. En été, elle amène un peu de fraîcheur. En hiver, il fera plus chaud autour d’elle.

Grâce à l’abondante biodiversité et aux interactions entre tous les éléments de mon jardin, ce dernier gagne en résilience face aux événements climatiques (par exemple une sécheresse) ou à l’attaque d’une maladie ou d’un ravageur. Cette année, la saison est moins bonne que les années passées. Surtout pour les légumes d’été que le froid et la grêle ont impactés (tomates, courges...). En revanche, certains légumes ont profité de l’eau abondante du mois de juin. Je n’ai jamais eu des récoltes aussi bonnes de fèves et pois par exemple ! Mais les années trop chaudes ne sont pas bonnes non plus... c’est le quotidien du jardinier que de “faire avec” le temps. »

Piste n°3 : Protéger le sol

« Pour assurer la bonne santé des végétaux, il est nécessaire d’apporter du soin à la terre cultivée. En effet, la fertilité du sol dépend de chaque être vivant qui participe au processus de décomposition de la matière organique.

Pour soigner la terre, il faut d’abord éviter le tassement. Si l’on marche sur la terre, l’air et l’eau circulent moins bien. La plante peine à récupérer les éléments nutritifs nécessaires à son développement. Pour éviter ce phénomène, nous avons installé des planches fixes et des planches déplaçables, qui structurent notre potager et évitent que nous marchions directement sur la terre. Nous avons également créé une butte de culture (voir la première vidéo) : en plus des végétaux en décomposition que nous avons enfouis en dessous, et qui assurent une bonne fertilité de la terre, nous n’avons pas à marcher à sa surface pour la cultiver.

Plutôt qu’une bêche traditionnelle pour retourner la terre, je privilégie le décompactage à l’aide d’une grelinette. Je peux ensuite affiner la terre au râteau. Seuls les légumes racines exigeants, comme les carottes ou les panais, exigent de retourner complètement le sol avec une fourche bêche.

En milieu urbain, le sol peut souvent avoir été maltraité par des travaux de rénovation. Pour l’améliorer et le « réveiller », on peut utiliser des engrais verts, qui fabriqueront de l’humus pour le potager. Du seigle, de la vesce, de la phacélie, du trèfle... On les sème sur les parcelles à l’automne et au printemps. Certains engrais verts, de la famille des légumineuses, vont fixer l’azote de l’air grâce à des bactéries logées au niveau de leurs racines. Une fois les engrais verts fauchés, leurs racines se décomposent dans le sol, libérant de l’azote assimilable par les plantes.

J’utilise le compost comme un engrais, au moment des semis ou des repiquages, en l’épandant à la surface de la terre, par exemple pour les salades, carottes, betteraves, haricots. J’en incorpore aussi dans un trou de plantation pour les cultures d’été très exigeantes en azote, par exemple les tomates et les courges. Enfin, je mélange du compost avec de l’eau, que je filtre, pour arroser ensuite des cultures exigeantes et des plantes en pots. »

Piste n°4 : Soigner chaque centimètre carré du jardin

« Une des clés pour augmenter la productivité du jardin, c’est de réaliser un travail très soigné, sur tout le jardin. Pour cela, il faut passer beaucoup de temps (voir la piste suivante), et ce n’est possible que parce que mon jardin est petit.

Par exemple, je prépare mes semis sur des mini-mottes. Cela a plusieurs avantages. Je mets une graine dans chaque motte, que j’abrite de la pluie et des limaces. Tous mes semis sont regroupés au même endroit : c’est pratique pour arroser et prendre soin de chaque plantule. Quand les plantules sortent de terre, je vais sélectionner celles qui sont les plus belles, pour les repiquer dans le jardin. Je laisse de côté les plantules qui me semblent fragiles.

Ensuite, je plante de façon très serrée dans le jardin. Sur cette même parcelle, je vais mettre des haricots, des choux, des salades et des radis. Chaque espèce grandit en fonction de ses besoins, sans gêner les autres. Les radis seront récoltés avant que les haricots ne prennent trop de place et ne les gênent.

Il faut ainsi tout le temps observer ce qui se passe dans le jardin, pour pouvoir réagir. Le matin, je fais un petit tour rapide, pour voir ce qui ne va pas. Si une feuille d’un plant de tomates commence à avoir le mildiou, je vais m’en apercevoir et couper la feuille atteinte avant que la tige ne soit malade. Il est primordial d’agir vite : en trois jours, le mildiou sera répandu et le pied sera mort. Il en va de même pour les choux : les chenilles peuvent se répandre à tous les plants, si tu ne les vois pas à temps. »

Piste n°5 : Passer du temps et expérimenter

« Mon jardin demande peu d’investissement matériel : j’ai acheté une serre, du petit matériel pour cultiver la terre. Par contre, cela exige du temps : je passe en moyenne dix heures par semaine l’été, et deux heures l’hiver. J’ai appris les bases lors de stages à la ferme du Bec Hellouin (lire notre article). Je lis beaucoup d’ouvrages sur le sujet, qui donnent des connaissances et des techniques [1].

Depuis l’été 2015, je teste la culture sur bottes de paille. C’est une technique, qui, à première vue, facilite la création d’un potager, notamment en milieu urbain où les espaces sont réduits, les surfaces minéralisées, la terre de mauvaise qualité. J’ai fait plusieurs tests en ajoutant dans les bottes de paille de l’urine ou de l’engrais commercial organique, pour apporter de l’azote, et des cendres qui contiennent du phosphore. J’ai ensuite planté des tomates cerise et des courges. Puis j’ai observé les résultats, en fonction des quantités et de la nature d’engrais apporté.

Les tomates cerise ont été extrêmement productives sur l’ensemble des trois bottes. Les courges l’ont été beaucoup moins. Les résultats me paraissent encourageants mais l’expérience demande à être renouvelée dans de nombreuses situations pour gagner en précision. Les bottes de paille peuvent représenter une bonne alternative au transport de terre lorsqu’il s’agit de cultiver « hors sol ».

Je vais utiliser cette technique de culture sur bottes de paille, en les superposant, pour faire un test avec des pommes de terre. J’aimerais travailler sur cette culture pour limiter l’emprise au sol des pommes de terre. J’aimerais aussi réussir à implanter un grand arbre fruitier, dans le jardin, par exemple un cerisier. Pour le moment, je n’ai pas encore trouvé d’emplacement, car un tel arbre induit beaucoup d’ombre. Je continue également à chercher des légumes cultivables en hiver, pour augmenter la production pendant cette période. »

Propos recueillis par Simon Gouin

Pour en savoir plus :

Cet article a été réalisé dans le cadre du projet Médias de proximité, soutenu par la Drac Île-de-France.

Notes

[1Une étude a été menée par l’institut national de recherche agronomique (Inra) entre 2011 et 2015 à la ferme du Bec Hellouin, pour savoir si le modèle de production maraîchère sur de très petites surfaces était rentable. La réponse est plutôt positive : entre 1300 et 1500 euros de revenus mensuels pour les deux associés, à raison de 43 heures de travail hebdomadaire chacun. Mais pour atteindre une telle rentabilité, il faut attendre quelques années (la ferme a été lancée en 2006). Il faut ajouter que les 1000 m2 cultivés s’insèrent dans un environnement de 20 hectares qui apportent des bénéfices non négligeables (et en cours d’étude) sur la vie de la surface maraîchère (arbres et haies qui hébergent des auxiliaires de culture et séquestrent du carbone dans les sols, pâtures, ruisseau et mares qui contribuent à créer un microclimat favorable).