Politique

Violences d’extrême droite : « Plus on va entendre des discours à la Zemmour, plus ils vont se penser forts »

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par Agathe Breton

Des projets d’attentats terroristes aux attaques de rue, le spectre de la violence des groupes d’extrême droite est large. Leur augmentation inquiète spécialistes et militants antifascistes.

« Pour eux, la seule voie, c’est le soulèvement. Un scénario de guerre civile. » Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoire des radicalités politiques, craint la montée de la violence des groupuscules d’extrême droite, mus par une idéologie qui mène au terrorisme. Depuis 2017, neuf projets d’attentats d’ultradroite ont été publiquement déjoués.

Dans un rapport parlementaire de 2019 « sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite » en France [1], les députés identifient deux menaces terroristes distinctes : l’une provenant des groupes survivalistes, se voyant « en guerre contre le péril étranger » et voulant « riposter », l’autre de « loups solitaires », dont l’idéologie a été nourrie de leur appartenance ou d’une proximité à des groupes d’ultradroite. C’est le cas de Maxime Brunerie, proche du groupuscule néonazi « Unité radicale », qui avait envisagé d’assassiner Jacques Chirac en 2002.

Derrière les neuf attentats déjoués, des groupes et des individus aux profils variés : mineurs ou retraités, anciens militaires ou cadres d’entreprises, il est difficile d’établir un « profil type » du potentiel terroriste d’extrême droite. Si leurs cibles sont variées, la ligne est commune : la haine de l’autre – du Musulman, du Juif, de l’homosexuel, de la gauche – et une vision violente de l’action politique.

« Il faut s’attendre à ce que cette augmentation des violences continue »

En 2019, un retraité et ancien candidat du Front national s’attaque à une mosquée à Bayonne. Porté par des idées islamophobes, il voulait « venger l’incendie de Notre-Dame ». Il tente de mettre le feu au lieu de culte, avant de tirer sur des fidèles. Deux personnes sont blessées. « Il faut s’attendre à ce que cette augmentation des violences continue », juge Jean-Yves Camus. Ce qu’ils estiment être des maux, comme le multiculturalisme, « ne peuvent pas selon eux être combattus par le politique ».

La diversification des profils inquiète. Pourtant, pour le collectif antifasciste La Horde, c’est un signe de la faiblesse de la menace terroriste en France. Pour l’un des animateurs du site antifasciste, aucune des tentatives de ces dernières années ne réunit les trois critères qui définissent le terrorisme « organisé, pensé politiquement et avec pour objectif la terreur ». Parfois, il s’envisage au sein de groupes qui échangent en ligne : c’était le cas des « Barjols », nés sur Facebook, ou du groupe « L’Oiseau Noir », basé sur un forum du même nom. D’autres fois, le projet d’attentat vise à déclencher une « remigration », à pousser les personnes supposées immigrées ou issues de l’immigration à quitter, par peur, le territoire – c’est notamment le cas du groupe Organisation des armées sociales (OAS), dont les membres identifiés viennent d’être condamnés à de la prison ferme. Souvent, la pensée politique des potentiels terroristes n’a pas de fondement anti-étatique. « De quoi a soif l’extrême droite en France ? D’ordre, d’autorité, de l’État – elle ne porte pas de discours anti-étatique, hormis d’un point de vue économique. Et qu’est-ce qui représente moins l’ordre que le terrorisme ? Rien. » Les potentielles conséquences de ces projets d’attentats ne sont cependant pas, pour eux, « à négliger ».

Tag de locaux, vidéos de propagande et violence de rue

La violence politique dans la rue est aussi plus fréquente : cortèges syndicaux ou féministes pris à partie, librairies militantes attaquées et dégradées... Un « terrorisme de basse intensité » selon La Horde, basé lui sur la peur, mais dont le but n’est pas de « faire bouger les lignes de la société ».

Les Zouaves sur YouTube
Les Zouaves, groupuscule violent héritier du Gud, se met en scène sur les réseaux. Ici, la capture d’écran d’une vidéo où ses membres se mettent en scène en posant groupés et lors d’actions violentes. Le montage est issu leur chaîne YouTube « Ouest casual ».

En publiant sur les réseaux sociaux, en menaçant des militants d’extrême gauche ou des antifascistes, l’ultradroite veut imposer un climat d’insécurité. L’exemple parfait est la chaîne YouTube « Ouest casual », tenue par les Zouaves, un groupuscule violent d’extrême droite, émanation du GUD (Groupe union défense, qui était actif dans certaines université), qui rassemble vidéos de propagande et captations d’actions violentes.

Dans le milieu syndical, « tout le monde a cette menace en tête », témoigne Frédéric Bodin (Sud). L’ancien animateur de Vigilance et Initiatives Syndicales Antifascistes (Visa) ajoute que ces groupes violents, par leurs actions qui vont « de taguer des locaux syndicaux aux violences dans la rue », instaurent « un climat politique ». Cette ambiance est selon lui la conséquence d’un débat public « obnubilé par l’extrême droite », qui « désinhibe totalement ces groupes ». Lorsque Éric Zemmour promeut, à une heure de grande écoute, des théories racistes et xénophobes, les groupuscules jusqu’ici marginalisés dans le débat public voient leurs idées légitimées. Désormais, le potentiel candidat à la présidentielle parade devant les caméras, lors du salon Milipol Paris, consacré à « la sûreté et de la sécurité intérieure des États », en pointant vers des journalistes un fusil de haute précision...

Un constat porté par le porte-parole du groupe antifasciste Jeune Garde, Raphaël Arnault : « Dès que l’extrême droite se sent à l’aise, elle se permet d’aller plus loin. Plus on va entendre des discours à la Zemmour, plus ils vont accéder aux institutions, plus ils vont se penser forts. »

Cortège antifasciste à Strasbourg
La Jeune Garde aux côtés de l’Action antifasciste à Strasbourg dans un cortège unitaire de groupes antifascistes, le 1er mai 2021.

Le militant lyonnais craint que les groupes violents s’attaquent à de nouvelles cibles. « Heureusement, on sert de tampon – la plupart des attaques nous visent encore. Mais s’ils grossissent, ça ne sera plus seulement sur nous. »

Le 24 avril 2021, le cortège du Rassemblement pour la fierté lesbienne, à Lyon, a été ciblé par des militants identitaires. Certains appartenaient au groupe Génération Identitaire, dissout en début d’année. Une marche féministe et une contre-manifestation aux anti-PMA avaient été attaquées quelques mois plus tôt.

Carte des violences d’extrême droite en 2021, Rapports de force :

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La violence est aussi le fait de la déstructuration des groupes d’extrême droite. « Aujourd’hui, il reste l’Action Française, le reste n’existe quasiment plus, ils ne recrutent plus de militants. Alors, ils se retrouvent dans la rue pour aller taper des gens – c’est tout ce qui leur reste. Politiquement, c’est un signe de faiblesse », analyse un militant de La Horde. « Ils se déplacent beaucoup dans d’autres villes aussi pour pallier cette faiblesse d’un point de vue numérique », ajoute Raphaël Arnault, de la Jeune Garde. Nombre de militants connus de ces milieux sont régulièrement identifiés à différents endroits,lors de mobilisations ou d’actions violentes organisées.

« On n’a pas d’autre choix que d’y aller »

Face à un discours d’extrême droite de plus en plus présent sur la scène politique et dans les médias, la Jeune Garde a mis en place un système de porte-parole, un pour chaque ville où ils sont présents : Lyon, Paris et Strasbourg. Une pratique peu commune dans les milieux antifascistes, d’habitude très discrets. « Le fait de s’ouvrir aux médias, c’est une manière de s’adapter face à la domination des discours d’extrême droite. On n’a pas d’autre choix que d’y aller », affirme Raphaël Arnault [2]. Une autre manière de lutter, complémentaire, est de s’associer avec d’autres organisation politiques, syndicats et partis, pour « monter des structures unitaires ».

Mobilisation du 23 octobre à Lyon.
Les organisations antifascistes et de gauche appellent à manifester à Lyon contre les violences d’extrême droite.

« Être tous ensemble dans cette lutte » contre la violence d’extrême droite est d’ailleurs le mot d’ordre de la mobilisation du samedi 23 octobre prévue à Lyon. Cet appel est porté par la Jeune Garde, le Planning familial, des syndicats de travailleurs et d’étudiants, des organisations et des collectifs de gauche, mais aussi des partis politiques comme la France insoumise, le NPA ou le PCF. Le choix de Lyon n’est pas le fruit du hasard. « Laboratoire de l’extrême droite », la ville accueille de nombreux groupuscules. En 2021, le média d’information sur les mouvements sociaux Rapports de force décompte une dizaine d’attaques de ces groupes au cœur de la ville.

Photo de une : cortège antifasciste à Paris - © Yann Lévy / Encrage