Hospitalité

Le « refuge solidaire » de Briançon pourra continuer à accueillir les exilés menacés par l’hiver

Hospitalité

par Louis Chahuneau

Le nouveau maire Les Républicains de Briançon avait décidé de fermer le refuge au plus tard le 28 octobre. Ouvert depuis trois ans, ce refuge accueille les exilés qui prennent le risque de franchir la frontière franco-italienne. Face à la mobilisation massive, l’édile vient de renoncer à toute expulsion avant six mois.

C’est une petite maison sur deux étages coincée entre un conservatoire de musique, une boulangerie bio et la gare de Briançon. Dans la cour, un abri de jardin et quelques chaises en bois, disposées en rang d’oignon. Au rez-de-chaussée, à côté de la porte, trône une fresque montrant une main empoignant des barbelés. Depuis trois ans, le refuge solidaire de Briançon dans les Hautes-Alpes sert de point d’accueil aux migrants qui traversent la frontière franco-italienne, par le col de Montgenèvre (1850 m) ou de l’Échelle (1762 m).

Depuis qu’elle a signé la convention d’occupation du bâtiment, en juillet 2017, avec la communauté de commune du Briançonnais (CCB), l’association qui tient le refuge a décompté 10 000 passages. Ces derniers mois, les Africains de l’Ouest et Maghrébins, ont fait place à des Iraniens et des Afghans, parfois des familles avec enfants. Beaucoup arrivent par leurs propres moyens au refuge, dont la réputation n’est plus à faire. Parfois, des maraudeurs Briançonnais les récupèrent à la frontière et les ramènent.

Une jauge d’accueil revue à la hausse

À l’origine, l’intercommunalité avait prévu une jauge de 15 personnes maximum par jour, mais les vagues migratoires ont eu raison des règles : « On n’a jamais pu respecter cette limite. On a tout de suite été dépassés avec parfois 60 arrivées d’un coup », témoigne Philippe Wyon, cofondateur du refuge. Ce retraité à la barbe grisonnante et aux yeux bleus raconte la tradition d’accueil des montagnards, la solidarité des habitants, les difficultés d’accueillir autant de gens, mais aussi l’opération du groupe d’extrême droite Génération identitaire en avril 2018 au col de l’Échelle [1].

Philippe Wyon, cofondateur du refuge solidaire à Briançon. © Louis Chahuneau

D’après le militant d’extrême droite Damien Rieu, l’opération « Defend Europe » avait pour objectif de « dissuader les migrants de rentrer en France ». C’est visiblement raté. Depuis cet été, le nombre de passages a explosé : 350 en août, à peu près autant en septembre. Ce qui a poussé la préfecture à rehausser la jauge d’accueil du refuge à 35 personnes en septembre [2]. Mais un autre danger menace les exilés : le nouveau maire de Briançon, Arnaud Murgia (LR), décide de fermer le refuge solidaire.

Un nouveau maire qui n’a jamais caché sa volonté de fermer le refuge

Le 26 août, celui qui préside aussi la Communauté de communes du Briançonnais met en demeure par courrier l’association de libérer le bâtiment au plus tard le 28 octobre pour « graves négligences dans la gestion des locaux et de leurs occupants ». Officiellement, les normes de sécurité ne seraient pas respectées : « On se retrouvait avec des gens qui dormaient dans la pièce de la chaudière », s’indignait le maire au micro de la radio locale Alpes 1 [3], le 30 septembre. La plupart des élus y voient une volonté politique anti-migrants. « Il n’a jamais caché son souhait de fermer le refuge, mais il se sert de cette occasion pour arriver à ses fins », déplore Thomas Schwarz, conseiller municipal sur la liste sans étiquette "Briançon d’abord". « Il se cache derrière la crise sanitaire, la non-prolongation du bail, l’insécurité liée au trop plein du refuge », ajoute l’élu.

De son côté, Arnaud Murgia, dont l’équipe n’a pas souhaité s’exprimer, met en cause l’ancien maire, Gérard Fromm (ex-PS) : « Mes prédécesseurs avaient douze mois pour prolonger la convention d’occupation, mais ils ne l’ont pas fait, pour des raisons de sécurité ou des raisons politiques, ça je ne sais pas ». Interrogé, Gérard Fromm, à l’origine du projet, botte en touche : « Je n’ai pas voulu la prolonger car on m’aurait accusé d’avoir forcé la main de mon successeur. J’aurais été réélu, je l’aurais resignée. » Trop tard.

« Quand les gens arrivent ici, ils ont l’impression d’être au paradis »

En cette fraîche matinée d’octobre, les pensionnaires du refuge se reposent ou fument une cigarette devant la maison. La plupart d’entre-eux ont traversé la Méditerranée sur des embarcations qui flottaient à peine, ont été détroussés par des passeurs dans les Balkans ou frappés par des policiers. Tous savent qu’ils ne sont pas au bout de leurs peines. Mi-octobre, une vingtaine de migrants ont été arrêtés par la police aux frontières (PAF) à la gare de Briançon, alors qu’ils s’apprêtaient à prendre le train pour aller déposer leur demande d’asile à Nice ou Marseille. Le département est dépourvu de structure du premier accueil des demandeurs d’asile (SPADA). Les abus sont fréquents dans cette zone. En juillet 2020, deux policiers de la PAF ont été condamnés par le tribunal correctionnel de Gap pour des faits de violences et détournements de fonds sur des migrants commis en 2008.

Peshro, 26 ans, et son frère Peshawa, 29 ans, sont arrivés d’Italie, par le col de Montgenèvre, le 17 octobre. Ils viennent d’Iran. « Nous sommes partis hier soir et sommes arrivés ce matin à 5 h au refuge », raconte le plus jeune, dans un anglais très approximatif. Depuis leur départ d’Iran, ils disent avoir dépensé chacun 10 000 euros pour passer les frontières. Autant dire qu’ils n’ont pas l’habitude de voir des bénévoles se plier en quatre pour les accueillir dignement : « Quand les gens arrivent ici, ils ont l’impression d’être au paradis », raconte Joël, bénévole retraité de 69 ans.

Deux frères iraniens, Peshro, 26 ans (à gauche), et son frère Peshawa, 29 ans (à droite), viennent d’arriver au refuge solidaire. © Louis Chahuneau

Une traversée extrêmement périlleuse

Le bâtiment est pourtant spartiate, avec des lits posés à même le sol, parfois dans le réfectoire. Ici, le mobilier vient d’Emmaüs ou de la Fondation Abbé Pierre, la nourriture est donnée par des restaurateurs solidaires, le linge est lavé par le service de blanchisserie de l’hôpital, tandis que Médecins du Monde assure la permanence de soin. « Ces derniers mois, on a eu beaucoup d’infections cutanées, de problèmes gastro-intestinaux, d’entorses, de tendinites », explique Cécilia, 31 ans, bénévole chez Médecins du Monde. Car la traversée de la frontière de nuit n’est pas sans danger, entre le froid, l’obscurité et les rondes de la police aux frontières.

Aziz, un berbère de 22 ans a mis plus de sept heures à passer le col, le tout en jean, pull et baskets : « Il y avait de la neige, et la police nous cherchait avec ses lampes torches », raconte celui qui a déjà perdu trois amis depuis les Balkans. Plusieurs migrants sont morts en tentant de passer la frontière franco-italienne ces dernières années. Certains en échappent de peu : en janvier 2016, Mamadou, un migrant malien de 27 ans a été amputé des deux pieds après avoir subi de graves gelures pendant sa traversée [4].

À l’intérieur du refuge solidaire. © Louis Chahuneau

La solidarité des habitants entretient l’espoir

Pour toutes ces raisons, personne ici n’imagine laisser les migrants livrés à eux-mêmes : « Si demain on refuse ces gens, ils vont traîner dans les rues, on va provoquer des choses qu’on n’a pas envie de voir », prévient Gérard Fromm, l’ancien maire. Deux mois après son élection, son successeur Arnaud Murgia semble déjà s’être mis une partie de la population à dos : « Je suis contre la fermeture », dit Claudine, une habitante du coin. Maud, fleuriste, « ne comprend pas bien cette décision ». Quant à Éric, propriétaire de la boulangerie voisine du refuge, il ne dit pas autre chose : « Où vous voulez-vous que ces gens aillent ? Où est-ce qu’ils vont dormir si on ne les héberge pas ? ». ONG et associations, ainsi que l’évêque de Gap, Xavier Malle, se sont mobilisés ces dernières semaines, multipliant communiqués et tribunes [5]. Près de 40 000 personnes ont signé une pétition à ce sujet.

« Personne n’a envie de voir un drame arriver cet hiver », souffle Aurélie Poyau, conseillère municipale d’opposition. Même la sous-préfète, Hélène Lestarquit, d’habitude sourde aux appels du refuge et qui n’a pas répondu à nos sollicitations, a envoyé un courrier à l’association, au grand étonnement de Joël : « Au moins, on existe à leurs yeux maintenant. Je serais prêt à remercier Arnaud Murgia d’avoir remis le sujet sur la table ».

Il y a quelques semaines, une commission composée d’élus et de représentants du refuge a été mise en place pour trouver des solutions. En réponse, le maire vient de s’engager par écrit à renoncer à toute expulsion avant six mois [6]. Le 15 octobre, un camion envoyé par l’intercommunalité est venu réapprovisionner la cuve de fuel du refuge. Le maire de Briançon regretterait-il son choix ? « Il a pris conscience que sa côte de popularité prendrait une bonne claque », estime l’élu Thomas Schwarz. En vue du printemps, l’association Tous Migrants précise que « des solutions de repli pérennes, avec l’aide d’ONG et de partenaires, sont à l’étude ». D’ici là, les locaux du refuge solidaire vont continuer à accueillir des exilés tout l’hiver.

Louis Chahuneau

Photo de une : La façade du refuge solidaire à Briançon. © Louis Chahuneau